A flux tendu (2)

Roman-feuilleton psychédélico-politique en 8 épisodes - chapitre 2

Résumé de l’épisode précédant : Armand, guitariste de studio, bohème et fauché s’est cassé une dent en mordant l’oreiller. Ce détail va changer sa vie professionelle et amoureuse. Frisant la quarantaine, fils d’une mère arabe et d’un père breton, il a une belle couleur pain d’épice et plait encore aux femmes, mais naturellement beaucoup moins aux forces de l’ordre. Son prochain contrat va l’amener à jouer dans un groupe tapageur néo-gothique au Japon. Toujours avec sa canine cassée.

 

A FLUX TENDU /Episode 2

   "Après le refus de Pékin de reprendre les négociations, Taiwan s’équipe en urgence. Les achats en matériel militaire américain se chiffrent à trente milliards de dollars, soit autant que pour la reconstruction de l’Irak...Six cents missiles Chinois sont braaaqués..... " J’ai demandé au chauffeur de passer sur Radio Jazz, la course allait se monter à vingt cinq dollars, sauf que j’allais les régler en euros de singe. Ça sentait sérieusement le roussi du côté des états-majors, j’en étais à me demander si j’avais bien fait de signer si vite pour le Japon. D’ici à ce que je me retrouve vitrifié en plein concert, il n’y avait que l’espace infime séparant un banal contacteur électrique de l’extrémité d’un quelconque bouton rouge. Et par-dessus le marché, malgré la saison encore estivale, il tombait ce matin-là une sale petite pluie froide d’automne et les essuie-glaces du vieux break que j’avais réussi à héler à la station couinaient comme deux porcs qu’on égorge. Après une minute de silence pour Wayne Shorter, lancé dans un solo endiablé sur les ondes, j’ai profité d’une parenthèse placide pour appeler mon petit frère à Bordeaux. Je voulais tout de même le prévenir de l’endroit où j’allais, histoire qu’il puisse toucher mon assurance-vie au cas où. C’était prévu dans le contrat bien ficelé que Paloma m’avait concocté, inscrit en tout petit au bas de la page huit : en cas de non-réclamation par les tiers, la prime reviendrait au bout de deux ans à l’officine de racketteurs sans scrupules censés garantir ma tranquillité. Je n’ai pas eu besoin de laisser sonner longtemps, Tom est un rapide, à vingt six ans, il a monté une affaire de location de Jet-ski haut de gamme qui lui rapporte déjà assez pour vivre à l’aise l’hiver, moment tendu où il prépare les collections de sa start-up de fringues branchées pour surfers à Mastergold. Bref, il ne cesse d’engranger et profite de sa bonne étoile pour me charrier avec mes tournées pour tocards de karaoké qui jusqu’alors ne m’avaient rapporté que des valoches mauves sous les yeux et une calvitie frontale envahissante.
Le taxi se traînait au milieu du flot dense, il y avait des gyrophares et des poulets partout. Je piaffais, j’avais rendez-vous au maquillage à sept heures pétantes. "Encore une alerte, j’espère qu’ils ne vont pas me faire le coup de l’autre fois...." a grommelé soudain nerveux le galérien moulu qui conduisait. Il avait l’accent arabe et le délit de faciès qui va avec. Un brave vieux déboussolé qui paniquait comme les autres en sentant grandir de jour en jour l’animosité contre les poseurs de bombes basanés. Une frustrée à grosses fesses et à casquette de milicienne nous à vociféré l’ordre de circuler, on s’est engouffrés dans la brèche. Dans l’écouteur, la voix de Tom était toute proche, il n’avait rien raté de l’ambiance infernale du carrefour. Paris, un bubon grouillant de bobos affolés, voilà ce qu’il en concluait, et d’enchaîner vicieusement sur la beauté du paysage qu’il avait sous les yeux, la mer, les pins et tutti quanti. J’ai coupé court aux blagues, la trotteuse galopait, la facture aussi, en plus j’avais la fièvre, je la sentais monter. Heureusement, le tournage du clip avait lieu en plateau sur fond bleu, je savais que là au moins, j’aurais chaud, à défaut de pouvoir profiter des embruns. Le petit m’a promis de prévenir sans faute les parents, chacun dans leur pays respectif, notre vieux facho de père étant retourné se finir au tinto verrano sous les murailles de Grenade, et la mère devant être à cette heure en train d’aller chercher de l’eau dans un village perdu du Haut-Atlas où elle tentait d’oublier trente années de serpillière passée au Smic. Je me suis senti plus léger. Sur ce, la journée s’est engagée au pas de charge. Le sucre glace de Paloma continuait de me faire effet. J’en connaissais le prix, je me méfiais de ce poison scintillant qui vous accroche à la moindre occasion, mais là je n’avais pas le choix, j’avais quarante heures de sommeil en retard et la pulsation lancinait, sournoisement tapie sous ma gencive anesthésiée par l’implacable chimie du produit.
La maquilleuse n’a fait aucune remarque sur mon sourire, la canine tenait et malgré une légère enflure du plis naso-génien gauche, une fois beurré de pan-cake, j’ai pu constater que l’équipe n’y verrait que du feu. J’ai serré mon poignet de force, enfilé le pantalon de cuir noir clouté et les bottes à talons biseautés que je portais habituellement sur scène. La fille a éclaté de rire. Sans la guitare j’avais l’air du tocard complet qui se rejoue Macadam Cow Boy, mais une fois la Stratocaster sur le ventre, au premier solo, elle s’est pâmée comme les autres. Je n’ai pas vraiment de mérite, je suis né comme ça. A seize ans je jouais sans effort l’intégrale d’Hendrix sans partition, pour moi tout seul dans le garage, six heures par jour qu’il pleuve ou qu’il vente, et j’ai persisté jusqu’à ce que je tombe, le soir tragique de mon échec au bac, sur Bertrand Veinstein, mon fatal et unique agent. Grâce à ses brillants services, en vingt deux ans de carrière, je peux dire que n’avais pas avancé d’un pouce sur le plan de la notoriété, mais j’étais devenu le pro qu’on appelle du monde entier pour incarner au pied levé le cliché rockeux pour asthéniques de la cafetière. Entre deux soupes à la gimauve et trois variétés bidons grassement payées, parfois j’avais droit à un boeuf avec quelques grands de passage, mais la plupart du temps, tout ce que les gamins hystériques retenaient de mon jeu, c’était que mon ceinturon glamour était identique à celui du défunt Jim Morrison. Les groupies en raffolaient.
Pour une fois, le réalisateur connaissait son boulot. Ce n’était pas un chouchou du producteur. En deux temps trois mouvements, on a bouclé les travellings et à la pause de dix heures, épuisé par les reprises j’ai violemment senti le besoin de me repoudrer le nez. Paloma, prévenante, m’avait bien entendu laissé de quoi tenir jusqu’à l’avion. Elle était piégée, elle voulait que tout le monde le soit. Les toxicos ont tous le même profil tordu. Conscient d’aggraver mon cas, j’ai profité de l’embellie pour faire un point téléphonique avec cette crapule de Veinstein qui m’avait laissé sans nouvelles de nos placements communs depuis plus de six mois. Il connaissait mes faiblesses et je profitais des siennes. On s’aimait bien. Ses grands parents avaient pris leur dernière douche à Treblinka, mes origines ne le gênaient pas, au contraire. Après les comment-tu-vas d’usage, assortis des noms d’oiseaux nécessaires à réchauffer l’atmosphère, on est entrés direct dans le vif du sujet : qu’avait-il fait de la poire pour la soif que je lui avait confiée ? Il prenait trente pour cent de commission et d’un commun accord nous avions depuis quelques temps jugé plus prudent de mettre systématiquement de côté une petite partie de ce qui me revenait. Je pouvais lui faire confiance. Ce n’était pas un débutant en affaires, on était à peu près du même âge et de la même espèce, mais lui, plutôt que dégringoler les gammes en séchant la fac, avait préféré investir frauduleusement sa bourse d’étude sur des valeurs technologiques pendant l’état de grâce du fringant Clinton. A vingt sept ans, deux mois avant le crack du Nasdaq. il avait eu le flair de tout revendre afin de placer ses fonds dans l’immobilier, Il n’avait pas besoin de mon fric, pas besoin de jouer les agents non plus. Mais il était tout petit, accro au Mac Do, dingue de musique et curieux de tous les plaisirs. Dans les loges, on l’appelait gentiment Bouboule. Il avait ses entrées et proposait à qui voulait ses services, les pilules qui réveillent, les cristaux pour l’amour, les résines interdites et les poudres infernales de l’oubli. Ses subterfuges lui permettaient d’approcher en douceur les choristes et les danseuses. Il ne demandait jamais d’argent, il mettait toujours les néophytes en garde. Personne ne le comprenait. Moi si. Avec son allure pas nette et son patronyme en "stein", il en entendait tous les jours des vertes et des pas mûres, il faisait comme moi, malgré sa fortune, il avalait les couleuvres et avait de plus en plus souvent l’impression de cracher sur sa mère. Pour l’heure il en avait de bonnes et de moins bonnes à m’apprendre. Il misait sur un inévitable conflit armé en Extrême-Orient et avait réussi à défiscaliser tous nos avoirs en les faisant passer au nom d’une société immobilière fictive qu’il venait de créer à Dublin. Ça l’amusait de mettre en boules les bureaucrates constipés qui prétendent gérer au mieux le bordel ambiant, avait-il ajouté sans rire, citant Roland Moreno, l’inventeur cannabinolé de la carte à puce. Je n’ai pas pipé, je ne comprends jamais rien à ses arnaques, j’ai juste pronostiqué que ça allait arranger mes affaires, moi qui ne réglais mes impôts français que sur ultime commandement avant saisie.
"C’est la guerre, la bonne nouvelle ? " j’ai demandé pour vérifier.
Il a rigolé. " Oui ça c’est la bonne. La mauvaise, c’est que notre dynamique société immobilière dublinoise vient d’acheter aux enchères une vieille gare à la SNCF et que je n’ai pas le temps d’aller la visiter. J’ai placé le fruit de ta dernière tournée dessus. Tu verras, c’est en limite de l’Ile de France, en pleine forêt, d’après le commissaire-priseur on peut faire du trois cent pour..."
Les effets conjugués de la poudre et de l’excitation du tournage ont dû jouer un certain rôle dans ma réaction parce que je me suis tout à coup retrouvé en train de traverser le plateau en braillant à la cantonade : "Non mais t’es vraiment givré !" l’écouteur à l’oreille et le téléphone dans la poche. Le chef-électro qui s’activait l’a pris pour lui et l’explication a failli tourner au pugilat, d’autant que les gars, tout comme moi, n’avaient pas fermé l’oeil de la nuit à cause du retard dû à la créature insipide que nous étions censés propulser vers le succès planétaire. Elle avait été refusée au casting de la "Nouvelle Star" et voulait prendre sa revanche. Son producteur lituanien faisait tout pour. Moi j’encaissais. Dans tous les sens du terme.
En réintégrant la loge maquillage, j’étais en sueur, bon pour le ravalement intégral. L’ami Bertrand m’a rappelé sur le champ. Il avait tout capté de l’esclandre et j’ai eu droit à son ricanement satisfait, avant qu’il se décide à me refiler l’adresse de cette horreur pourrie à Monceaux les Braies où il avait englouti sans remords mes six derniers cachets. Il m’avait gentiment laissé cinq mille dollars de liquidités dans un coffre en Irlande, ça me faisait une belle jambe. Au moment où j’allais repartir de plus belle dans l’engueulade, le Lituanien est entré, l’oeil vachard. J’ai raccroché en souriant aux anges. Je savais qu’il n’appréciait pas trop les plaisantins, le sympathique baobab fan de Mike Tyson qui bichonnait sa Rolls me l’avait confié un soir de tournée arrosée à Séoul en faisant craquer comme des noix les jointures de ses paluches inoxydables. "Monsieur Pavel n’aime pas qu’on se moque de lui, surtout de sa Cassandra chérie..." Effectivement, ce soir-là j’avais joué un peu trop fort et on n’avait plus du tout entendu la pauvre petite chose qui se débattait le string à l’air en balançant son piercing de nombril devant trente mille fans coréens survoltés qui se croyaient à Woodstock.
Et là, Monsieur Pavel me fixait de son regard de sniper en faisant pianoter sèchement ses doigts gantés de noir contre le revers immaculé de son pardessus en vigogne. Il a aboyé : " On ne veut pas de dégénérés ici., tu termines le clip et tu dégages. !" en roulant les r réglementaires, puis il a tourné les talons. Un mètre soixante cinq à peine et l’épaisseur d’un os de seiche, mais à la façon définitive dont il s’était lustré le pouce contre l’index, j’ai compris que je risquais d’être contraint de passer rapidement au répertoire de Django Reinhardt. Pour un guitariste de métier, c’est la cerise sur le gâteau, à condition, bien sûr, d’être en mesure de ne le jouer qu’avec trois doigts. J’avais donc intérêt à assurer en beauté les dernières séquences gros- plan. J’ai fait le zouave de mon mieux, jusqu’à ce que le chef-opérateur fasse perfidement constater à l’équipe scandalisée que mon maquillage n’étant plus du tout raccord, nous étions, de par ma faute, obligés de tout reprendre à zéro. A cinq heures précises, le staff m’a fait savoir que conformément à ce qui était prévu, mon cachet et mes droits seraient versés à mon agent mais qu’il ne fallait plus que je songe désormais à jouer pour Cassandra, "Ni ailleurs dans le secteur", a ironisé l’homme au pardessus avant de me claquer la porte au nez.
C’est ainsi que je me suis retrouvé à Roissy deux heures à l’avance, sans un centime de monnaie en poche. Heureusement que le taxi acceptait les cartes de crédit. J’étais verdâtre, le cameraman avait bien noté l’oedème qui déformait ma joue, et un examen rapide dans les toilettes de l’aéroport m’avait confirmé la brusque aggravation. Je commençais à ressembler à Elephant Man.
L’ineffable Yann est arrivé le premier. Après un jeu de piste épuisant, j’avais enfin réussi à localiser un distributeur de billets en état de marche et je dodelinais sobrement devant un énième capuccino quand j’ai vu poindre sa silhouette massive au milieu d’un troupeau de gringalets effarés qui se déroutaient sur son passage. Il est vrai qu’il poussait d’une main un chariot chargé à bloc et que le convoi exceptionnel qu’ils représentaient à eux deux devait bien avoisiner les deux quintaux. Il m’a tout de suite repéré et en le voyant foncer vers moi engoncé dans un blazer bleu qui lui moulait les biceps j’ai eu comme un tragique pressentiment. En fait il s’est montré très aimable. Paloma arriverait au dernier moment, m’a-t-il confié l’oeil aux aguets, elle craignait de plus en plus les attentats, même en France. J’ai opiné d’un air entendu. La Castafiore m’avait confié ses angoisses : son général de père y avait laissé la vie, quelque part entre Ankara et leur propriété de dix mille hectares de coton en Anatolie. Yann a commandé une pinte de brune, on a soupiré synchrones et je me suis dit qu’on avait quand même peut-être une chance de parvenir à nous accorder sur scène. Une patrouille Vigipirate est passée au ralenti en nous lorgnant avec insistance, nos chariots bourrés d’instruments et de valises en aluminium leur évoquait certainement des cauchemars de viande hachée. J’ai demandé au Celte s’il avait pensé aux partitions. Il a sorti une chemise de son sac et m’a dévisagé inquiet.
"Tu es sûr que ça va aller ? "
" Tu veilles sur ma santé ? Je croyais que tu cassais du Gris." j’ai rétorqué bravache en lui braquant deux pics à glace au fond des prunelles. Il n’a pas cillé, il a botté en touche en maugréant " Le boulot, mon pote, c’est sacré..." mais tandis que je feuilletais les délires lyriques de sa patronne, il m’a clairement fait comprendre qu’à la fin du contrat, j’aurais intérêt à ne pas tomber entre ses pattes.
Paloma est arrivée en trombe cinq minutes avant la fin de l’embarquement. Elle avait le siège voisin du mien et comptait manifestement me briefer pendant le voyage, mais j’ai piqué du nez bien avant le décollage. Je n’ai repris conscience qu’au dessus de l’Himalaya. Dehors, il faisait moins soixante et la lune pleine brillait durement derrière le hublot. Sonnée, la soprano ronflait au ras de mon épaule, un loup noir fourni par la compagnie lui bandait les yeux et un petit filet de bave molle cloquait en bulles neigeuses au coin de ses lèvres purpurines, elle aussi avait son compte. La carlingue dans la pénombre m’a paru immense et déserte, les deux cent trente mammifères civilisés qui l’occupaient étaient tous écroulés dans les bras de Morphée. J’ai fait un point rapide. Le reste des musiciens nous rejoindrait à l’escale de Bangkok. Le batteur anglais arrivait de Berlin, la régie aussi, et on avait rendez-vous avec une pianiste islandaise à Tokyo, quatre jours seulement avant le premier concert. On aurait droit à huit jours de répétition en tout et pour tout et une prime cossue si les enregistrements live se vendaient comme prévu. Ces bribes d’informations étaient restées gravées en ma mémoire, je les avais reçues dans mon demi-sommeil, mêlées au grondement dément des réacteurs, sur la piste d’envol à Roissy, tandis qu’à mon accoutumée, je visualisais mentalement le bleu ultime de la note de Coltrane dans laquelle j’espérais bien me dissoudre en cas de crash inopiné.
A l’approche de Delhi, j’ai sorti "American Tabloïd" de cet allumé de James Ellroy. Son bouquin me hantait depuis que j’avais eu le malheur de l’ouvrir. J’en étais à peine arrivé à la moitié et ça ressemblait bigrement à la réalité tordue que la CIA et consorts nous concoctaient depuis le 11 septembre. Cette horreur programmée me rendait fou, comme tout le monde, sauf que j’avais de plus en plus l’impression pénible d’être parmi les rares à m’en apercevoir. Pour le hurler, j’avais encore les riffs et les solos saturés, mais désormais, j’évitais soigneusement de laisser ma colère éclater. Le casque du lecteur Mp3 calé sur les oreilles, Miles Davis en stéréo, j’ai laissé la terre obscure et ses tourments défiler sous nos ailes. J’étais tellement ailleurs que je n’ai repris contact avec le réel qu’en descendant la passerelle à Bangkok, un bref instant persuadé qu’on débarquait à Miami. Yann marchait à côté de moi. Il m’a demandé discrètement si je n’avais rien à déclarer. On avançait à toute vitesse sur le trottoir roulant, au bout, une grappe dense d’uniformes nous attendait. Je me suis souvenu du petit sachet que Paloma m’avait confié au matin. Il restait quelques cristaux de poudre à l’intérieur, mais je n’ai pas réagi, j’en avais trop besoin pour calmer les décharges fulgurantes qui m’irradiaient la mâchoire jusqu’à l’oeil. J’ai pensé très fort à Dolly qui devait à cette heure matinale en Europe dormir blottie dans les bras de son histrion à grande mèche. Les moments d’insouciance, les fraises en primeur et les virées à la plage, tout m’est revenu à la vitesse d’un rayon laser à l’instant crucial où le petit nerveux qui pointait la mitraillette m’a dévisagé. En Thaïlande, un passeur étranger est la proie rêvée, je connaissais des routards qui avaient pris trente ans pour un sachet de pure alors que les gros bonnets du Triangle d’Or avaient leurs résidences à deux pas. Mon coeur tambourinait comme un imbécile, j’ai essayé de sourire en tendant mon ticket de transit mais l’Asiate m’a gentiment signalé en anglais pidgin : " Si vous avoir mal aux dents, il y a docteur là-bas..." et il m’a désigné le hall.
" Ici on est encore en zone internationale. A Tokyo, faudra faire gaffe, ils ont des Labradors et des nez électroniques..." a commenté Yann dans mon dos. Paloma Oghuz m’a accroché fermement le bras. Sous l’ éclat verdâtre des néons, elle avait un profil d’oiseau de proie, ici, sa crinière rouge et son look kitsch hollywoodien ne semblaient pas aussi déplacés qu’à Charles de Gaulle. Dans ces escales, on croise toutes sortes d’énergumènes de retour du Népal et d’ailleurs. Du loqueteux en savates et sac à dos pisseux au Sikh majestueux en passant par le poussah et sa smalah, la zone grouillait de passagers en attente tous plus croquignolets les uns que les autres. Une famille de Français à l’embonpoint de pingouin engloutissait des saucisses chaudes au bar, les gosses en marcel braillaient en choeur "Non vous n’aurez pas ma liberté de penser !" J’ai repéré un barbu de haute taille qui sirotait une mousse en canette. Paloma lui a fait un grand signe. C’était lui le batteur, un surnommé Bobby la Timbale. Un bon gars natif de Cardiff, avec un cou de taureau et un rire à déraciner les séquoias. Un vrai Working Class Hero. Les deux techniciens germaniques au teint de végétaliens qui l’escortaient avaient, selon toute vraisemblance, tenté de le défier au zinc en nous attendant. Ils en étaient à la sixième tournée et j’ai eu du mal à établir le contact avec le groupe. En tout cas, c’est grâce à Bobby que je suis encore en vie aujourd’hui, ça ne s’oublie pas, quand bien même si celui que j’étais alors est mort et enterré depuis belle lurette.
J’ai profité des toilettes immaculées de la cafétéria pour me refaire vite fait une beauté. Ma joue avait doublé de volume mais je ne sentais quasiment rien, d’autant plus que je venais de m’empiffrer deux rails colossaux sur le couvercle de la cuvette. J’avais jugé qu’il valait mieux liquider d’un seul coup le reliquat du cadeau empoisonné de ma nuit d’égarement plutôt que de me faire serrer bêtement, mais ce sniff de malade représentait au bas mot l’équivalent d’un gramme d’anesthésiant pur dont l’inconvénient majeur était d’exciter gravement la tirelire. Je ne touchais plus le sol en ressortant. Evidemment, Paloma l’a tout de suite remarqué. Elle a fait signe à son Viking qui m’a prié manu militari d’avaler trois gélules, deux rouges et une bleue avec un jus d’orange cul-sec pour faire passer.
"La bleue c’est un anti-inflammatoire, les rouges ce sont les antibio...Tu prends la même chose tous les jours pendant cinq jours. On a huit titres à boucler, t’as intérêt..."
J’ai obtempéré, je flottais sur un nuage, très au dessus de la mêlée, je me sentais complètement guéri. De retour dans le Boeing, je me souviens avoir bouclé ma ceinture avant de reprendre ma lecture hallucinée d’"American Tabloïd". Après cela, tout s’embrouille, le reste du voyage ressemble à un film mal ficelé où d’interminables séquences de plateau repas alterneraient sans queue ni tête avec les explosions lumineuses d’écrans géants à Shibuya. Quatre réseaux de circulation empilés, l’autoroute au sommet, la voie ferrée au troisième et le métro au dessus des passants, le tout crachant sa suie par tous les pots. J’ai glissé mes deux yens dans une fente, et j’ai respiré l’air pur pendant une minute. Tokyo, la cité des mutants de l’an Trois Mille, j’y étais, ballotté au milieu de la foule des Lolitas à socquettes qui riaient au passage des hordes de pères de famille en petit imper beige, la plupart abrutis de saké et de désespoir, zigzaguant comme chaque soir en rentrant du turbin. Devant moi, deux clones amoureux en longs manteaux afghans se rejouaient Lennon et Yoko, un baiser débridé au beau milieu du trottoir. Les grosses berlines et les vélos me donnaient le tournis, je voyais bien que l’hôtel était devant moi mais je ne voulais pas y entrer. Ce n’était pas un cauchemar, je n’arrivais pas à dormir, j’étais sorti prendre l’air et je ne savais plus du tout ce que je faisais là ni quel jour on était, le décalage horaire et la fièvre m’avaient terrassé dès l’atterrissage. Heureusement, Paloma avait un bon manager. Le toubib de service m’a examiné brièvement la gencive et m’a conseillé de consulter un hôpital dès le lendemain matin. Quel matin ? J’avais quarante de fièvre, la nuit tokyoîte semblait n’avoir pas de fin. Grâce au puissant somnifère prescrit par l’homme de l’art, j’ai tout de même réussi à fermer l’oeil à l’aube, persuadé une fois de plus que j’étais à Miami et qu’on allait assassiner Kennedy. Il est clair que j’aurais dû me ménager un peu.
Vers midi, en émergeant du maelström du délire, j’ai senti l’odeur du bacon grillé avant de découvrir mes deux guitares posées côte à côte contre le mur hideux de la chambre. Paloma était assise sur le minuscule futon qui constituait le seul meuble de ce cercueil plastifié à trois cents dollars la journée. Je pouvais tout juste m’y tenir debout. Là j’étais tout ce qu’il y a de plus couché et à poil qui plus est. Je me sentais tout neuf, Paloma l’a aussitôt remarqué. Elle a murmuré :"Tu nous as fait une de ces peurs !" en me posant délicatement le plateau du petit déjeuner sur les genoux. J’ai remarqué avec plaisir qu’elle n’était pas maquillée, sa tignasse flamboyante en devenait incongrue au dessus de son visage émacié aux yeux immenses
" Je récupère vite."
" Tiens ça t’aidera..." Elle a posé le sachet sur la soucoupe. Au moins trente grammes, de quoi tuer un cheval. Je ne voulais pas toucher à sa saleté mais j’étais curieux de savoir comment elle était arrivée à la faire entrer au Japon. Yann m’avait bien prévenu des détecteurs polyvalents. Les flics nippons sont experts, leurs aspirateurs à nano-particules détectent une fourmi à cent kilomètres, et j’avais beau être à moitié dans le cirage en arrivant, je les avais bien vus à l’oeuvre au moment où nos bagages était passés au comptoir de la douane.
Il va sans dire que j’ai testé prudemment mon bricolage dentaire avant de m’aventurer à grignoter quoi que ce soit. Paloma me chouchoutait, souriante et maternelle. La bacon était croustillant à souhait, les oeufs brouillés sont passés sans problème, et en mastiquant uniquement à droite, j’aurais pu croire que tout était redevenu normal. Ma gencive était certes un peu gonflée, mais il semblait bien que les petites pilules de Yann avaient terrassé le mal. Il y en avait deux boîtes pleines sur le plateau, à côté du sachet illégal. Ma détestation des dentistes, née d’une malheureuse extraction sur abcès à l’âge précoce où l’on paie son addiction aux Carambars, n’avait fait que croître avec les années. Ce doit être ce qui m’a poussé à me dire qu’au fond, je pouvais très bien continuer à vivre avec mon collage. Sur le moment il ne m’est absolument pas venu à l’idée que c’était pour le moins contre nature. J’aurais bien aimé me prélasser encore un peu mais la grande prêtresse a extrait un petit clavier numérique de sa housse, le gadget sur lequel elle composait toutes ses mélodies de base, grand comme un orgue d’enfant avec trois Giga et quelques milliers de samples et trucages à disposition. Au temps de l’analogique, il aurait fallu bourrer le studio de machines grosses comme des frigo pour obtenir la même puissance. L’ennui c’est qu’avec ce genre de facilités, les producteurs futés attendent désormais qu’on leur livre un master nickel prêt au pressage, avec la pochette du CD illustrée si possible. J’ai enfilé un jeans et un tee-shirt en oubliant le slip et on s’y est mis comme deux malades du son que nous étions. Parce que si défraîchie qu’elle fût, elle y croyait encore dur comme fer, Paloma. Elle m’a expliqué en détail ce qu’elle voulait : une subversion des codes, exploser les certitudes momifiées des spectateurs envoûtés. Elle se prenait terriblement au sérieux, cependant je dois avouer qu’elle avait la folie qu’il faut pour espérer. Côté voix, rien à signaler, elle connaissait ses classiques, de la Traviata à Marianne Faithfull, elle pouvait tout chanter sans effort. Ne lui manquait que l’âme, et la syncope, cette bon dieu de syncope qui swingue et transcende le trivial binaire. Dès que je la lâchais une minute, elle repartait à pieds joints sur le temps fort, aussi lourde qu’un chevalier Teutonique. Après deux heures à ce régime exténuant, j’ai commencé à perdre patience et je lui ai déclaré tout de go qu’elle avait un meilleur rythme au pieu qu’au micro. Ce qui a quelque peu refroidi l’ambiance. Il était déjà plus de midi, elle a ouvert le petit sachet et posé un minuscule miroir ciselé sur la table de nuit. " Tu as raison, je suis coincée, il faut que je me détende..." Elle a reniflé ses deux coups en brave, avant de me tendre sa mortelle panacée. Comme un benêt, une fois de plus j’ai cédé, et c’est ainsi qu’on a continué à planer ensemble toute l’après-midi, sur l’oreiller tout d’abord, puis de nouveau avec les notes, les croches et les trilles.
A travers le minuscule oeil-de-boeuf verrouillé censé jouer le rôle de fenêtre, je pouvais apercevoir un lointain pan d’immeuble où l’enseigne SONY trônait, souveraine. Au sommet, un écran géant à cristaux liquides déversait jour et nuit les actualités et les pubs. Le fric, la mort, les marchandises et le désir. Je n’avais plus de cerveau disponible pour endurer cette lugubre fête foraine, seule la musique, la vraie, me sauverait, j’en étais convaincu, et c’était bien la seule raison valable que je trouvais à cette dérive malsaine où Paloma m’embarquait. Elle voulait que je lui ponde deux titres rassembleurs, poétiques et rageurs. La quadrature du cercle. C’est en fixant l’explosion d’un missile sur l’écran Sony que l’idée m’est venue. Je songeais à Hiroshima en écoutant d’une oreille distraite les vocalises pétrifiées de ma Callas des ténèbres, quand j’ai soudain réalisé avec bonheur qu’aucun tube n’avait jamais vu le jour sur le thème de Tchernobyl. Pourtant une évidence pour le marché russe, allemand, et bien sûr japonais, sûrement beaucoup moins vendable en France, mais de toute manière, Paloma, comme moi, ne s’intéressait plus beaucoup à la France, pas pour les mêmes raisons, elle n’avait pas un Monsieur Pavel aux fesses, elle, c’était surtout l’attitude ambiguë de Paris vis à vis de son pays, qui la révoltait.
Quand ça me prend, c’est comme une transe. J’ai commencé à tourner en rond, dans la chambre, façon de parler puisqu’elle ne faisait pas plus de six mètres carrés, puis les mélodies me sont venues d’un coup pour les deux chansons à la fois, je ne pouvais pas les dissocier. L’autre, c’était "Lumière Noire", une histoire de fille perdue sur un thème obsédant à la Ravel où j’entendais déjà la clameur flamboyante des cordes en distorsion.
"Tu n’as pas de saxo dans le groupe ? " j’ai demandé, inquiet. J’en avais capté un quelque part dans un coin de mon cortex, venu tout droit de la source. J’étais dans le cosmique. Paloma impavide notait mes élucubrations sur son clavier boulimique et les brouillons de texte s’étalaient en désordre sur la couverture. Le soir est venu sans même qu’on s’en aperçoive, la nuit était déjà bien avancée quand nos estomacs vides ont pris le pas sur nos neurones. J’ai proposé une virée à pied, elle n’a pas dit non, dix minutes plus tard on s’est retrouvés dans un bouge du quartier réservé, les yeux dans les yeux en train d’avaler goulûment des sushis arrosés de saké chaud. C’est là qu’elle m’a avoué son engouement pour "Kiev en avril", notre titre tout frais de l’après-midi. Elle voyait déjà les briquets s’allumer comme dans les concerts de U2. Le refrain disait en anglais la nostalgie des raisins qui ne seront pas cueillis, j’avais prévu une phrase en russe et le reste des couplets à adapter selon la version. C’était du cousu main, restait à trouver la traductrice.
"Tout de suite ? " j’ai demandé, inquiet, quand Paloma toute excitée s’est mise à tripatouiller les touches de son portable. C’était dans sa nature, elle n’avait aucune patience et elle en avait les moyens.

 "Non, j’envoie juste un message à Yann pour qu’il n’oublie pas qu’on répète à huit heures au stade. S’il se pointe à la bourre, on est mal. Pour la traductrice, je verrai ça avec l’hôtel. Je t’invite..."
" Où ça ? "
Elle a rit, sans conviction. Je la sentais ailleurs, comme possédée. A minuit heure locale, j’ai découvert qu’au trentre-troisième étage du Hilton, les suites étaient tout à fait conformes au standard occidental. Je tombais des nues. Comme un banlieusard que j’étais, je croyais que la patronne partageait notre sort de soutiers dans un de ces cercueils de survie où la production nous logeait. La bonne surprise m’a relancé en orbite positive. C’était le printemps, je le sentais en moi malgré la ville qui m’enserrait, la sève me donnait envie de jouer encore et encore, avec la vie, la musique et les corps. On a célébré "Kiev en avril" jusqu’à la lie, et à huit heures chrono, on s’est pointés au rendez-vous, frais comme des gardons. Yann tirait une tête de congre mort, le poisson cru lui filait de l’urticaire et il a tenu à me montrer ses cloques avant qu’on lance la grosse machinerie.
Vingt mille places au bas mot, mais une sono digne de la Salle Pleyel, avec la climatisation en option. Concrètement, le concert se présentait bien. La scène entière était constituée de plateaux mobiles asservis par ordinateur, et question projecteurs, il y avait de quoi fournir une DCA. Paloma trônerait au dessus de la foule, portée par une grue. Elle était fière de ses costumes, du néo-barbare à plumes et fourrures, des clous, du cuir et des cuissardes, et même du léopard synthétique. Je riais sous cape. Tout ce fatras Grand Guignol me laissait froid, ce que je voulais avant tout, c’était m’assurer que le groupe fonctionnait. Je n’ai pas été déçu. Les mercenaires ont attaqué le répertoire pied au plancher et j’ai dû m’accrocher pour ne pas me perdre dans les gammes chromatiques. Côté technique, les Japonais étaient comme à leur habitude, distants et adorables, même si Yann leur lançait de temps à autre un regard de hyène quand l’un d’entre-eux tirait un câble trop près de ses bottes. Il m’avait avoué, entre autre, ne pas trop apprécier ceux qu’il surnommait indifféremment les Niakwés, son grand-père était ancien de l’Indo. A part ça, il méritait son salaire, sa basse déménageait comme un camion et quand il en jouait, il avait vraiment l’air d’un démon.
Les quatre jours suivants se sont enchaînés sans que je puisse différencier les journées des nuits, je ne pouvais plus me passer de la béquille cristalline que Paloma consommait à la vitesse d’un sprinter dopé. Nous partagions les pailles et le reste, j’étais devenu sa chose, son esclave sous contrat et je m’en fichais, c’était bien le versant le plus tragique, je m’en tapais intégralement tant l’ivresse du son de sa machine à hypnotiser les masses était puissante. Le spectacle dantesque qu’elle tenait à offrir aurait pris aux tripes n’importe quel fonctionnaire de la censure, et je n’échappais pas à la fascination morbide qu’elle exerçait sur les techniciens et le groupe. Nous étions censés ouvrir le festival, intitulé par ses organisateurs locaux adorateurs de Mishima, "Apocalypse Tomorrow " avec traduction littérale en nippon. L’euphorie régnait. Un soir de beuverie, Yann a même tenu à m’expliquer sa technique de passeur. Pour isoler la substance illicite de l’extérieur, il la vaporisait en fines couches sur une feuille de plastique taillée à la dimension d’un couvercle de valise, ensuite, il glissait la feuille dans un emballage sous vide, laissait tremper une heure dans un mélange vinaigré poivré avant de rincer au white spirit sans odeur. Les Labradors s’y laissaient prendre et les aspirateurs y perdaient leur nano-latin. Au milieu des hordes jaunes, le francophone que j’étais le rassurait, il avait oublié les Gris, les Celtes et Paris, son jeu de basse ne pouvait que s’en améliorer. La plupart du temps on frôlait la fusion, surtout quand Bobby la Timbale mettait le jus, ce qu’il ne manquait pas de faire sitôt qu’il avait ingurgité sa pinte de bière locale qui tapait sérieusement plus qu’une Budweiser. C’est au soir du cinquième jour que les choses ont commencé à se compliquer. Une odeur affreuse. Le remugle caractéristique de la décomposition semblait flotter partout autour de moi. Partout où j’allais, cette charogne était là, même dans la chambre d’hôtel. Après m’en être inquiété auprès des Japonais, craignant d’abord une pollution locale, j’ai fini par comprendre que j’étais seul à la percevoir. Ça venait de l’intérieur, ma carcasse lâchait. Mais je n’avais plus le temps d’y penser, il nous restait encore deux morceaux à caler et les éclairages n’étaient pas synchronisés.
Ils sont arrivés en masse, le stade s’est rempli en quelques minutes alors que je m’apprêtais à revêtir mes grotesques oripeaux d’Ostrogoth. Le dernier rail que Paloma m’avait préparé nourrissait ma chair à vif. Je n’étais plus qu’énergie, mains souples, doigts électriques rebondissant sur les cordes. Quand on est entrés sous la rampe voilée de fumigènes, l’ovation immense m’a soulevé du praticable qui lui-même a commencé à s’élever lentément dans les airs, et comme à chaque concert, j’ai eu envie de claquer sur place tellement c’était bon.
Paloma a entonné "Kiev en avril" bille en tête. A la dixième mesure, au moment emphatique où la pianiste islandaise a plaqué le premier accord, des milliers de petites lucioles à gaz se sont s’allumées une à une dans la masse sombre du public. J’en aurais chialé, la fièvre me dévastait, ses relents fétides me pourrissait l’haleine, au chorus, j’ai senti soudain quelque chose craquer dans ma poitrine, mes jambes bougeaient toutes seules et je ne contrôlais plus mes gestes. J’ai aperçu le Viking à quarante cinq degrés qui me lançait des appels désespérés. J’ai bien remarqué que le tempo foutait le camp en même temps que les choses prenaient un angle bizarre, mais je me suis retrouvé cerné dans la poursuite, son éclat m’a aveuglé et j’ai atterri en apesanteur dans un univers blanc sans début ni fin où j’ai erré des heures en attendant le docteur.

 

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